Lucas Corvée : « Je rêvais de populariser le bad »

  • badminton-lucas-corvee-je-revais-de-populariser-le-badLucas Corvée : « Ce qu’il manque à la France, c’est d’y croire. […] On s’est toujours dit chez nous que les Asiatiques étaient trop forts. »

Recueilli par Baptiste COGNÉ. (Journal Ouest France)                lucas corve

Avant de remettre son titre de champion de France en jeu, à partir de jeudi, le Normand évoque son avenir et celui de sa discipline qui souhaite se faire une place majeure à l’heure où les Asiatiques règnent.

En 2016, vous avez brisé l’hégémonie de Brice Leverdez après ses 8 titres de champion de France consécutifs. C’était un peu comme détrôner le PSG en Ligue 1  ?

 

(Rires) Je ne l’avais pas vu de cette façon-là. Mais il fallait l’arrêter. Je me rappelle très bien comment ça s’était passé en 2016. Je l’avais battu en demi-finale. Ça avait fait un petit choc dans le monde du badminton. Cela faisait quelques années qu’il m’échappait un peu, j’avais perdu deux fois contre lui en finale. Mais je n’étais pas là pour vraiment le battre lui. Mais plutôt pour gagner le titre. Même si derrière, il me restait encore un match à gagner et c’était loin d’être fait (face à Lucas Claerbout).

Dans quatre jours à Voiron (Isère), vous serez en lice pour une troisième couronne d’affilée…

C’est peut-être la compétition la plus particulière de la saison parce que c’est la plus stressante. Plus on se rapproche de l’échéance, plus on sent l’attente. Même si je ne ressens pas particulièrement de pression. Je serai favori de par mes deux titres et l’absence de Brice (Leverdez), mais ça ne me pose pas de problème. J’essaie de m’en détacher en me disant que j’ai déjà gagné deux fois. Ça me permet d’arriver avec un peu plus de confiance. Mais c’est clair que j’ai qu’un objectif, gagner.

 

Être potentiellement le successeur de Leverdez (31 ans), le fer de lance des Bleus, est-ce un costume qui vous plairait ?

Oui c’est sûr. C’est plaisant d’être, entre guillemets, sous la lumière des projecteurs. Tu l’es un peu plus quand tu es numéro 1 de ton pays. Je côtoie Brice d’assez près et j’essaye d’apprendre un maximum de choses avec lui pour aller plus loin. Il a gagné des matches que personne n’a encore jamais réalisés, j’essaye de m’en inspirer. Il a été beaucoup de choses pour moi. Un concurrent, déjà, puis un partenaire, un ami. Mais j’ai envie de faire encore mieux que lui et je me concentre davantage sur mon parcours. Je trace un peu ma route de mon côté.

Étant jeune, vous avez longuement hésité avec le tennis, pourquoi ?

J’ai été dans le tennis de 8 ans à 13 ans. Je faisais les deux, voire plus de tennis que de bad. À l’époque, c’était impossible de trancher. J’avais même eu l’opportunité une fois de faire les championnats de France de bad et de tennis.

Un an après, j’ai été champion de France benjamin de badminton et c’est tombé dans une année où je n’arrivais pas à faire des résultats à la hauteur de mes attentes en tennis. Je venais d’avoir 13 ans et il fallait que j’arrête un des deux pour aller plus haut. Je m’éclatais peut-être un peu plus au bad qu’au tennis. Je ne regrette pas du tout, même j’aurais été curieux de voir comment j’aurais pu me défendre dans le tennis.

Pourtant, le bad ne jouit pas de la même exposition que le tennis. Cela vous dérange ?

On n’a pas d’influence sur cela donc ça ne sert à rien de s’énerver. Quand j’ai fait mon choix, le badminton était peu populaire en France et je rêvais d’essayer de le populariser. Au tennis, il y avait déjà beaucoup de têtes d’affiche et c’était peut-être plus dur de se faire une place. Ça me tenait à cœur de ne pas choisir le sport le plus médiatisé, où il y a le plus d’argent. Je pense que je manque d’objectivité en disant que le bad fait partie des plus beaux sports, mais il n’est juste pas assez connu pour susciter autant d’engouement que d’autres.

Le bad français attend toujours sa première médaille olympique. Que manque-t-il pour rivaliser avec les Asiatiques et les Danois qui dominent la discipline ?

Tous les pays en Asie sont tournés vers la performance dans le bad. Beaucoup de gamins rêvent d’être parmi les meilleurs au monde. Ce qu’il manque à la France, c’est d’y croire. En 2017, j’ai joué beaucoup de joueurs du Top 20 mondial. Certes, je n’en ai pas battu, mais j’ai réussi à les accrocher quasiment à chaque fois. On s’est toujours dit chez nous que les Asiatiques étaient trop forts, que c’était dur, qu’ils avaient des capacités supérieures aux nôtres.

Mais en fait, c’est faisable ! Même s’ils ont des doses d’entraînement supérieures à la France, on est meilleurs dans la façon dont on s’entraîne. Après, ils sont tellement nombreux à faire du bad depuis le très jeune âge qu’à l’international, il y a plus de joueurs qu’ailleurs qui sortent du lot. C’est une question d’état d’esprit. Même si les résultats parlent d’eux-mêmes en ce moment…

Le Danois Peter Gade, ancien n°1 mondial (1999-2002), est arrivé en tant que directeur de la performance chez les Bleus il y a presque 3 ans. Est-ce un vrai plus ?

C’était le but. Il a eu une carrière remarquable. Il sait ce qu’il faut faire et me l’a transmis sur les deux dernières années. J’ai beaucoup appris. Mais au final, c’est moi qui suis sur le terrain et pas lui. Le but était d’ailleurs de progresser sur le continent, de montrer qu’on fait partie des trois-quatre meilleures nations européennes.

On a déjà eu des résultats par équipe, comme la 2e place aux Europe, il y a deux ans. La France se développe, et ce dès les pôles espoirs, les pôles France. Peter a apporté beaucoup de rigueur dans l’organisation, même s’il va partir en mai prochain et qu’un nouveau staff arrivera.

Les Jeux olympiques de Tokyo en 2020 se rapprochent. Y pensez-vous tous les matins en vous rasant ?

Je ne me rase pas souvent (rires). Je vis au jour le jour, surtout dans le sport où la carrière est assez courte. Ça passe très vite et je pense que si on m’avait demandé à 20 ans où est-ce que je me voyais aujourd’hui, j’aurais dit beaucoup plus haut. Je suis ambitieux.

Cependant, je ne me projette pas aussi loin que sur des Jeux olympiques. Alors bien sûr, j’y pense énormément, tous les matins, même inconsciemment parce que c’est un gros objectif d’y être et un rêve d’y performer. Mais on est en 2018. Et 2020 me paraît encore trop loin.

Dans 15 jours, il y a les championnats d’Europe par équipe en Russie avec l’équipe de France. Que visez-vous ?

C’est dans cette compétition qu’on a peut-être connu le plus beau souvenir en termes de groupe avec notre finale il y a deux ans (perdue contre le Danemark 3-1). On aura à cœur d’aller défendre cette 2e place. La première semble intouchable par les Danois, mais il ne faut pas leur rendre la tâche facile.

L’objectif sera la médaille pour renforcer le palmarès encore pauvre dans ce tournoi-là pour l’équipe de France. On a quasiment la même équipe qu’il y a deux ans, donc on a les talents et le potentiel pour ça.